lundi 14 janvier 2013

Eloge de la cueillette



Nature se meurt, des espèces disparaissent par poignée chaque année, et l'on parle encore de cueillir des plantes ? D'aller ponctionner le milieu ?
Halte là ! Tout est question de bon sens. Alors, pourquoi et comment cueillir, et quel impact la cueillette pourrait-elle bien avoir sur nous ?

Cueillir n'est pas un acte anodin. On prélève tout ou partie d'une ou plusieurs plantes, et ce n'est pas sans conséquences. Si la cueillette des parties végétatives (1) n’empêche pas la plante de se reproduire, il en va tout autrement concernant la récolte des parties souterraines et, pour certaines espèces, la cueillette de la fleur, du fruit ou de la graine. En effet, pour extraire une racine, on doit arracher toute la plante. Elle a donc peu de chance de survivre. Il en va de même pour les espèces dont les individus ne portent qu'un seul fruit, et que l'on cueille. On peut pousser un peu le bouchon et parler des plantes annuelles (2) et bisannuelles (3) qui, si elles sont cueillies avant d'avoir pu produire des graines, seront dans l'incapacité de reproduire des descendants.

Mais avant toute cueillette, il faut avoir observé un certain nombre de règles.
Tout d'abord, être sûr de ce que l'on cueille. L'identification avec certitude permet d'éviter la confusion et l'empoisonnement. Cela permet aussi d'éviter de cueillir des plantes protégées (4) (à condition de les connaître).
Ensuite, il importe de choisir son lieu de cueillette : éviter les bords de routes ou les zones susceptibles d'être ou d'avoir été polluées.
Autre règle d'or : cueillir ce qui est juste nécessaire, uniquement ce dont on a besoin, ce que l'on va utiliser. On évitera par exemple de cueillir toute une parcelle (et inversement ne pas se retrouver dans l'angoisse et ne rien cueillir). Que ce soient quelques feuilles, une poignée de fruits, ou un panier plein de racines, il faut le faire en conscience et introspection.

Je ne m'étalerais pas maintenant sur les différentes utilisations des plantes cueillies, une rubrique y sera prochainement consacrée. En revanche, suite logique aux règles de "pendant la cueillette", intéressons-nous à "l'après cueillette".
Après avoir soigneusement trié, puis lavé les plantes issues de la cueillette, on peut soit les utiliser fraîches, soit les conserver. Dans ce dernier cas, on peut les placer dans un linge humide au réfrigérateur (conservation courte), ou encore les sécher, les réduire en farine (pour les graines et fruits farineux), les congeler, les confire, les conserver en pâtés, au vinaigre, lacto-fermentées, etc., (conservation longue).

Maintenant, au regard de cette cueillette, qu'est-ce qui a changé chez nous ?
Quand on va cueillir, on va se recueillir. Bien que notre présence lui soit (peut-être ?) égale, la nature nous offre l'occasion de la côtoyer dans son plus simple appareil, brut, entière. Elle nous ressource, nous recharge. Elle n'a pas grand chose à nous dire, mais allons-y pour écouter ce qu'il y a de meilleur en nous. On en revient forcement un peu différent.

Quand on a cueilli, on a accueilli les plantes dans nos espaces intimes. Elles s'invitent tout naturellement à table, nous permettant, grâce à leur haute teneur en nutriments et leur goût puissant et délicat à la fois, presque mystérieux, de renouer avec un brin de liberté, une portion de vitalité, un zeste de bien-être. Cela peut aller bien au-delà, c’est communier avec le sauvage, le non-humain.
Et elles ? Qu'est-ce qui a changé dans leur écosystème, une fois qu'on les a ramassées ?
L'arrivée de la vie sur Terre et son évolution sont le fruit d'une lente mais ingénieuse transformation, qui permet de créer et d'entretenir les conditions favorables au développement des espèces. Dans ce processus naturel, il y a des prédateurs et des proies, souvent l'une devenant l'autre, c'est un cycle. Les plantes sauvages et les hommes ne dérogent pas à cette "règle". Si, pendant 2 990 000 ans, l'homme a su profiter au mieux de la nature pour ses besoins fondamentaux tout en gérant (sciemment ou inconsciemment ?) ses ressources, pourquoi n'en serions-nous aujourd'hui plus capables ?

Le problème réside surtout dans le changement brusque. Un environnement détruit à coups de bulldozer aura beaucoup plus de mal à se régénérer (évoluer) qu'un autre ayant subi des changements environnementaux beaucoup plus lents. Les plantes n'ont donc pas le temps de s'adapter à un changement radical de milieu induit par l'homme, mais peuvent revenir et recoloniser rapidement le lieu… si on leur fiche la paix !

Aussi, il ne s'agit pas non plus de vouloir "gérer à tout prix", conserver et protéger coûte que coûte. La nature n'a pas besoin de nous pour savoir ce qui est bon ou mauvais pour elle. Il s'agirait plutôt de procéder à une réévaluation de nos besoins. Nous savons aujourd'hui ce qu'il ne faut plus faire, ce n'est pas une raison pour nous priver et priver la nature d'une certaine "liberté", en avançant avec elle plutôt que contre elle.

(1)   Concerne les pousses, feuilles et tiges. À l'aisselle de chaque feuille se trouve un bourgeon qui peut potentiellement entrer en activité et bâtir une nouvelle tige feuillée.
(2)   Une plante annuelle est issue d'une graine qui a dû être produite l'année précédente par un individu de la même espèce à l'issue de sa floraison.
(3)   Idem à la plante annuelle, mais son cycle s'étale sur deux ans. La première année, la plante accumule des réserves et reste en vie pendant l'hiver, ces réserves s'additionnant à ce qui est produit l'année suivante pour fleurir et produire fruit(s) et graine(s)
(4)   Cas de plantes protégées : il va de soi que la cueillette occasionnelle d'une plante dite protégée n'a pas de grosse incidence si la population dans l'endroit donné est importante. Il conviendra en revanche de ne pas la cueillir si elle se fait rare à un autre endroit donné. C’est d’ailleurs vrai même si la plante n’est pas protégée !

Pour aller plus loin…

Encyclopédie des plantes sauvages comestibles et toxiques de l’Europe (François Couplan)

-       Tome1 Le régal Végétal

-       Tome 2 La cuisine sauvage

-       Tome 3 Les belles vénéneuses

Guide nutritionnel des plantes sauvages et cultivées (François Couplan)

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